Note : les images manquantes sont le fait de la censure dont j’ai été l’objet au Journal Le Québécois. Ça me fait encore trop suer pour les réinstaller.
Publié dans le Journal du Québécois le 10 avril 2016
Une job à 4 mains menée par Aprilus et François Doyon.
Aprilus met la table.
Le Monde Diplomatique, pour moi, c’est l’incarnation du bon journal de gauche. Et si le petit côté universitaire vous saoule, en France, il y a aussi le drôlement féroce Fakir. Ici au Québec, on a ce truc, À Bâbord! Un canard urbano-centriste qui impose le carcan d’un parti politique, Québec Solidaire. Voici donc un papelard restrictif au niveau des nombreuses expressions de la gauche, allergique au principe de la laïcité et frileux quant à ce qui devrait pourtant faire vibrer tout progressiste: la liberté et l’indépendance. Le philosophe François Doyon, auteur du texte qui suit, et moi avons tous les deux oeuvré au sein de ce véritable cloaque idéologique – exception faite de la chronique de Normand Baillargeon. Depuis l’horrible numéro célébrant l’anniversaire de «la» gauche québécoise, l’idée de fesser sur ce publireportage fondu dans le papier glacé nous titillait. C’est finalement le tendancieux numéro sur le racisme qui nous aura fait sortir de nos gonds et poussé à commettre ce que vous avez sous les yeux. Alors que non-seulement le Diplo a anticipé la montée des extrêmes, qu’il en fait régulièrement une lecture éclairée, relevant les raisons du mécontentement populaire ambiant ainsi que les trahisons d’élites soit disant progressistes; alors que nombre de voix s’élèvent quant aux erreurs tactiques des mouvements anti-racistes européens; Québec Solidaire et ses sbires régressistes persistent dans leur aveuglement et leur mépris du «troupeau dérouté», cette populace ignare et raciste capable de conduire des hurluberlus comme Trump au pouvoir. Attisant allègrement le ressentiment populaire et entretenant une incendiaire polarisation, cette gauche québécoise adulée des puissants, prétend pourtant vouloir parler d’autre chose que d’identité, de souveraineté et de laïcité. À force de célébrer les différences individuelles, elle a dilué sa vocation première: défendre les classes populaires. À Bâbord! n’est qu’un des véhicules de cette mortifère propension sur laquelle mise le PLQ pour éradiquer toute velléité indépendantiste. Fort à parier que Couillard, qui lui aussi se contre-crisse de la paix sociale, est abonné à ce torchon Montréalais.
Doyon procède à la dissection.
À bâbord! est une revue de gauche qui s’autoprésente en ces termes : « La revue À bâbord! est une publication indépendante, sans but lucratif, paraissant cinq fois par année depuis sa fondation en 2003. Elle est éditée par des militantes et des militants de toutes origines, proposant une révolution dans l’organisation de notre société, dans les rapports entre hommes et femmes et dans nos liens avec la Nature [sic]. La revue a pour but d’informer, de formuler des analyses et des critiques sociales et d’offrir un espace ouvert pour débattre et favoriser le renforcement des mouvements sociaux d’origine populaire. À bâbord! veut appuyer les efforts de celles et ceux qui dénoncent les injustices et organisent la rébellion. »
Aprilus et moi-même sommes tous les deux d’anciens collaborateurs de cette revue. Nous avons quitté le pont de ce navire qui prend l’eau, marginalisés au sein même de la marginalité. En effet, À bâbord! ne représente « qu’une gauche » et demeure sectaire et urbain même lorsqu’il traite de sujets régionaux. La gauche ne se limite pas qu’à cette vision biaisée. Car reléguer la lutte pour l’indépendance du Québec au ras de la moquette, ce n’est pas ce qu’il y a de plus progressiste.
Le lecteur un tant soit peu perspicace aura déjà compris : À bâbord!, est un éditeur de publireportages pour Québec solidaire.
Plusieurs voies d’eau ont précipité À bâbord! dans un abîme de niaiseries. Le naufrage est apparu inévitable avec la publication d’un dossier spécial dans le numéro 67, intitulé « Racisme au Québec : au-delà du déni ».
Il est dit dans ce dossier qu’il n’y a pas de capitalisme sans racisme. Cette affirmation est lancée sans preuve suffisante.
« Notre manière de nous mobiliser autour de la question du racisme, écrit l’auteur, est une question de premier ordre au Québec, alors que l’élite utilise des sentiments identitaires rigides et rétrogrades pour maintenir une position de privilèges, s’attaquer aux conditions de travail et maintenir les travailleuses et travailleurs racisés dans une situation de vulnérabilité et d’exploitation. »
Le texte énonce bien quelques faits, mais l’agencement de ceux-ci donne à croire que le phénomène du racisme est lié au seul capitalisme nord-américain. C’est de la malhonnêteté intellectuelle. Une généralisation abusive qui manifeste une profonde ignorance de l’histoire et de l’essence du capitalisme. Il ne faut pas comprendre grand-chose au monde actuel pour écrire qu’il n’y a pas de capitalisme sans racisme. S’il existe une idéologie qui ne fait pas la différence entre un homme noir et un homme blanc, c’est bien le libéralisme économique et son culte de l’Homme remplaçable.
L’article relate des faits historiques sans faire la moindre différence entre Français et Anglais, il se contente de traiter du Québec et du Canada comme s’il s’agissait du même peuple!
L’auteur sait-il qu’il ne parle pas du Québec lorsqu’il écrit : « La fondation du capitalisme au Canada repose en effet sur une logique racisée. La dépossession des terres autochtones et le vol de leurs ressources étaient fondamentaux pour l’accumulation historique du capital et ces mécanismes sont toujours bien à l’œuvre aujourd’hui. Avec la Loi sur les Indiens, l’élite du Canada s’est assurée que les peuples autochtones soient marginalisés au sein d’un système d’apartheid » ?
Le Québec n’est pas du tout responsable de la loi sur les Indiens, c’est une loi fédérale. Le texte dénonce le racisme, mais la pire forme de racisme n’est pas justement de nier l’existence d’un peuple?
Plus absurde encore, l’auteur, déformant outrageusement la réalité, présente le projet de loi 62 comme raciste :
« Loin de promouvoir les idéaux universels de sécularisme, ce projet de loi régressif vise clairement les musulman.e.s [sic] du Québec. Il est même critiqué par le parti québécois pour ne pas aller trop loin. La ministre libérale Stéphanie Vallée a suggéré d’adopter des mesures similaires à la France, telles que permettre à la police de fouiller les femmes qui portent le niqab. Tout cela est présenté sous le couvert du sécularisme et de la civilité, alors que l’intention politique est manifestement de consolider certains segments de l’Électorat en mobilisant un discours sur les communautés immigrantes, particulièrement les communautés arabes et musulmanes; en insinuant que le Québec, comme nation blanche et judéo-chrétienne, serait menacé de l’extérieur et de l’intérieur par des barbares à nos frontières et entre notre sein. »
Prêter de telles intentions au PLQ relève du pur délire de persécution. Tout ce qui limite la liberté de cette religion d’État non repentante est vu comme du racisme…
Bref, en publiant ce torchon, les harpies intersectionnelles de À bâbord! occultent complètement dans leur diatribe le fait que les canadiens-français étaient dans une position de subordination tant sur le plan économique que social et culturel jusqu’à la fin des années 1970. Et encore aujourd’hui, ils sont sous-représentés tant au Canada qu’au Québec dans le 1 % les mieux nantis. C’est bien beau de dire aux autres de vérifier leurs privilèges, mais que ces harpies commencent par réviser leurs manuels d’histoire.
Je leur recommande notamment la lecture de l’historien américain Francis Parkman, spécialiste de la Nouvelle-France, qui écrit : « La civilisation espagnole a écrasé les Indiens; la civilisation anglaise les a méprisés et négligés; la civilisation française les a enlacés et chéris. » (cité par Alfred A. Cave, The French and Indian War, Greenwood Press, 2004) Enlacés et chéris c’est beaucoup dire, mais pour des raisons économiques et politiques les autorités coloniales françaises les ont perçus comme des alliés et de nombreux « Canadiens » vivaient en leur compagnie…
Si les auteurs de À bâbord! étaient moins ignorants de l’histoire du Québec, ils comprendraient que si nos relations avec les autochtones avaient été mauvaises, jamais ils ne nous auraient permis de découvrir le continent américain jusqu’au fin fond du Mississippi. On se serait fait massacrer le temps de le dire. La population de la Nouvelle-France était trop petite pour conquérir ce coin de pays. Même lors de la première paix des Braves, les Amérindiens avaient la force militaire nécessaire pour nous vaincre et nous confiner à Québec et Montréal. Nous n’avions pas les moyens de les exterminer. Après il y a eu la conquête anglaise…
Il faut voir le film L’empreinte pour comprendre que les Québécois sont certainement la nation la plus proche des autochtones de toute l’Amérique du Nord. Sirop d’érable, épluchettes de maïs, hockey : est-il quelque chose de nous qui soit typiquement québécois et qui ne porte pas la trace de notre métissage?
Le dossier « Racisme au Québec : au-delà du déni » est un appel à la repentance et à l’autoflagellation. Or tenter de faire ressentir de la white guilt est le meilleur moyen de produire un suprémaciste. À chaque attaque de culpabilisation, on devient davantage ce que la gauche régressive croit combattre. La gauche régressive incite à remarquer plus que jamais la couleur des gens! Inutile de continuer à traiter les Québécois de racistes, ils le savent et ça les indiffère de plus en plus. La gauche régressive a réussi à banaliser le racisme à force de le voir partout où il n’est pas.
Un procès du Québec pour racisme qui jette de l’huile sur le feu, est-ce mieux qu’un débat sur une charte qui souffle sur les braises de l’intolérance? En faisant le procès du Québec, la gauche régressive provoque les mêmes dommages qu’elle reprochait au débat sur la charte des valeurs du PQ. Avec son dossier, À bâbord! jette de l’huile sur un feu qui réchauffe l’extrême droite.
Dans le numéro 68, À bâbord! réplique à l’indignation et aux dérapages racistes qu’à suscité le texte « Pas de capitalisme sans racisme », qui fût aussi publié dans Le Devoir[1]. Les coordonnateurs du dossier et l’auteur du texte conspué écrivent :
« Évitons les sophismes : dénoncer le racisme et le fait qu’il sert l’implantation d’un capitalisme déshumanisant ne signifie pas qu’on est raciste anti-Québécois ou anti-blanc; ce n’est pas non plus l’expression d’une volonté d’invisibiliser l’histoire du Québec pour prôner des valeurs islamistes. »
Ce n’est pas un sophisme que de dire que l’auteur de « Pas de capitalisme sans racisme » déforme l’histoire du capitalisme et l’histoire du Québec.
Ce n’est pas un sophisme que de dire que le capitalisme n’est pas toujours lié au racisme. Le capitalisme est lié au racisme durant ce que Marx appelle la « phase d’accumulation primitive : “La découverte des contrées aurifères et argentifères de l’Amérique, la réduction des indigènes en esclavage, leur enfouissement dans les mines ou leur extermination, les commencements de conquête et de pillage aux Indes orientales, la transformation de l’Afrique en une sorte de garenne commerciale pour la chasse aux peaux noires, voilà les procédés idylliques d’accumulation primitive qui signalent l’ère capitaliste à son aurore[2].” Mais lorsque le Québec est sorti du régime seigneurial, si son industrialisation était liée au racisme, c’était le racisme anti-francophone. Nous pensons aux ouvriers francophones des quartiers industriels de l’est de MontréaI. Ces ouvriers travaillants pour des boss anglophones sont bien représentés dans les œuvres Michel Tremblay. Il faut vraiment ignorer l’histoire du Québec, ainsi que sa littérature, pour penser que les francophones du Québec se sont enrichis en exploitant les autres races.
Nous reconnaissons qu’il est important “d’écouter et d’entendre l’Autre”, mais nous refusons qu’on fasse le procès des Québécois sur la base de mensonges colportés par des immigrants et des militants de gauche qui ne prennent pas la peine de s’instruire correctement sur notre histoire avant de nous juger. Remarquez que le processus de sécularisation amorcé durant la révolution tranquille, est complètement zappé des radars de ces progressistes à deux balles…
Combattre le racisme est une noble cause. La façon la plus perfide de nuire à une cause, c’est de la défendre avec de mauvaises raisons. Or, c’est précisément ce qu’a fait À bâbord! avec son dossier sur le racisme. Pour renflouer l’épave À bâbord!, il faudrait son comité de rédaction cesse de publier des surdoses d’ignorance.
Biographie – François Doyon – Ose te servir de ton propre entendement! Voilà la phrase fétiche de François, une phrase qu’il aime appliquer au jour le jour. Que ce soit dans ses luttes épiques contre les impostures intellectuelles, son amour pour les plantes que personne ne connaît par leur vrai nom ou son dévouement pour ses élèves, François ne se chauffe pas de n’importe quel bois. Spécialiste de la philosophie de Hans-Georg Gadamer, il est l’un des auteurs de Philosophical Apprenticeships, contemporary continental philosophy in Canada (Presses de l’Université d’Ottawa, 2009), de L’art du dialogue et de l’argumentation, s’initier à la pensée critique pour le cours « Philosophie et rationalité » (Chenelière Éducation, 2009) et de La face cachée du cours Éthique et culture religieuse (Léméac, 2016). Il vient de publier Les philosophes québécois et leur défense des religions (Connaissances et Savoirs, 2017). François Doyon est également contributeur pour la revue Québec sceptique.
Aprilus…
★ Suivez le lien pour faire un DON à un artiste libre.★
[1] http://www.ledevoir.com/economie/actualites-economiques/488276/pas-de-capitalisme-sans-racisme.
[2] Karl Marx, Le Capital, Livre I, VIIIe section : L’accumulation primitive, Chapitre XXXI : Genèse du capitaliste industriel.